Récit-fiction de la bataille
Nous sommes partis de Saintes le 10 aout. La foule était nombreuse pour nous accompagner sur le chemin de la gare. Les femmes, les enfants nous distribuaient des drapeaux que nous attachions à nos fusils et des bouquets de fleurs que nous portions à notre veste. Quand aux hommes on voyaient bien par leurs airs graves qu'ils avaient conscience des charges qui pesaient sur nos épaules et des sacrifices qu'ils allaient falloir consentir pour l'honneur, la gloire de notre pays et la défense des familles. Il fallait entendre tous ces chants patriotiques, ces acclamations repris à l'unisson pour se faire une idée de l'émotion qui nous envahissait à mesure que nous marchions. C'était un sentiment étrange dans notre coeur que de ne faire plus qu'un avec cette foule alors que chacun de nous appréhendait là de laisser un enfant une femme des parents etc… ; mais bien vite ce sentiment disparaissais par la conviction d'accomplir son devoir et puis Dieu était avec nous. Nous sommes donc partis gaiement au Chant de la Marseillaise et les wagons étaient couverts d'inscriptions Berlin, de dessins représentant l'empereur « Guillaume » au bout d'une corde.
Le colonel Vénot et sa badine ©Altora - Pages 1418
La frontière Allemande à Brin
Nous avons débarqué à Nancy le 12 au matin et sommes partis cantonner à Villers les Nancy et Clairlieu. Nous étions à 22 km de la frontière et l'on pouvait entendre le canon tonner. Des villages que nous avons traversé une forte impression de saleté s'en dégageait. Le fumier était au bord des maisons et dégageait une forte odeur de purin. Les habitants quand à eux nous regardait parfois avec un air méfiant ce qui faisait dire à certains d'entre nous qu'ils étaient à « moitié boches ». Le 15 nous sommes partis de Clairlieu vers 1 heure du matin pour nous rendre à Cerceuil. Nous avons marché pendant 25 km. Nous avons assisté à un balai incessant de voitures automobiles qui ramenaient des blessés à Nancy. Il pleut et le canon tonne très fort. Nous sommes maintenant à 15 km de la frontière. Le 18 l'ordre est donné de monté à Laneuvelotte aux avants poste à 10 km de la frontière. Le lendemain nous avons traversé la frontière à Brin-sur-Seille et sommes passés en « Lorraine annexée ». Nous avançons vers l'ennemi et personne ne nous couvre. Nous cantonnons à Lenoncourt commune de Lorraine Annéxée.
Nous sommes arrivés vers 6 heures 30 alors que deux heures auparavant les allemands étaient encore ici. Le 20 le 6e Bon est bombardé sur Lenoncourt tandis que le 5e Bon se déplace vers Donjeux Bellevue. Puis pour nous c'est le repli devant la force de l'artillerie. On se rend compte que l'on n'est plus à l'exercice. Des soldats sont blessés ou tués. Nous n'avions rien à manger ni pain ni viande.Les allemands nous tirent dessus depuis 6 km et nous n'avons pas d'Artillerie. C'est la débandade. Les officiers ne donnent plus d'ordre. Les compagnies sont disloquées. Nous reculons de plus en plus. Nous arrivons à Fresnes à 10 heures et repartons à 2 heures en ayant dormi deux heures. Nous avons parcouru 48 km pour revenir vers Nancy; Le 22 nous cantonnons vers Houdemont. Il y a trois jours nous étions en Allemagne et nous voilà revenu à notre point de départ. Que font nos chefs ? Le 24 le régiment à reçu l'ordre de defendre le col de Bratte et de Livry. Le colonel a sous ses ordres un groupe d'artillerie et une compagnie du génie. Nous travaillons à construire des tranchées. Hier nous avons fait 25 km en n'ayant mangé qu'un peu de pain. Nous sommes traités comme des bêtes de somme; nous dormons à peine 3 ou 4 heures. Le canon tonne toujours. Le 27 nous cantonnons à Agincourt. Le 5e Bon est parti enterrer les morts allemands : plus de 3000 dit-on. Nous n'avons pas de nouvelles de Saintes. Le 30 plus de 300 hommes sont arrivés du dépôt. Le canon continue de tonner. Ces derniers jours seront pour nous inoubliables. Ce fut notre baptême.